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Télévision publique suisse : des langues se délient pour dénoncer le traitement partial de la crise Covid

«On dirait une armée de clones sans diversité d’opinions», résume une collaboratrice de la RTS. Corruption institutionnelle, manipulation du pouvoir ? Ou bêtement la peur du virus ? Amèle Debey, fondatrice du site L’Impertinent, a recueilli les témoignages de plusieurs journalistes.

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«Une armée de clones sans diversité d’opinion»: la Bérézina Covid de la RTS a des explications

par Amèle Debey, adapté pour le lectorat de CovidHub.

Le parti pris des principaux journaux du pays dans le traitement de la crise Covid est assumé par Marc Walder, patron d’un des plus puissants éditeurs suisse Ringier – voir les articles récents de l’Impertinent et de Covidhub. Qu’en est-il de la chaîne nationale de service public, que la majorité de la population finance, année après année? Si certains crient à la corruption systémique, imaginant volontiers le ministre de la santé Alain Berset en chef d’orchestre des différentes rédactions, il semblerait que le problème soit à la fois plus simple et plus compliqué que cela. L’Impertinent a recueilli les témoignages de plusieurs journalistes de la RTS qui osent questionner le traitement que leur chaîne a fait de cette pandémie et de sa gestion.

«Deux ans d’absence d’esprit critique»

«Lorsque quelqu’un arrivait avec la preuve de sa vaccination dans la rédac’, cela lui valait un tonnerre d’applaudissements. Les sujets un peu critiques proposés au journal étaient souvent écartés.» Ce témoignage est celui d’une employée de la RTS, qui a tenu à rester anonyme pour des raisons évidentes et que nous appellerons Jeanne. Elle déplore l’absence d’esprit critique des différentes rédactions de la chaîne depuis deux ans, au sujet du Covid. Un positionnement qu’elle explique par un cruel manque de diversité au sein des différentes équipes: «Nous sommes majoritairement des blancs, bobos, de gauche, issus des mêmes formations, fréquentant les mêmes milieux culturels. On dirait une armée de clones. Il y a trop peu de diversité d’opinion.»

Jeanne témoigne également de biais de sélection qu’elle estime fondamentaux pour expliquer la couverture unilatérale de la pandémie et de ses nombreuses implications: «Inconsciemment parfois, la hiérarchie engage des gens qui lui ressemblent. Les intérêts des responsables se reflètent dans le profil des engagés. Les journalistes les plus ‘divergents’ finissent même par partir. C’est un cercle vicieux, déplore-t-elle. La conséquence est une pensée unique contre laquelle il est difficile de lutter. Il y a encore quelques années, tu ne voyais aucun journaliste non-blanc à la RTS.»

Un nouveau poste «Diversité et inclusion»

Le scandale de «L’affaire Rochebin» a initié une levée de boucliers contre le harcèlement et le manque de diversité au sein de la chaîne, sous forme d’ateliers de formation à l’écriture inclusive et épicène, notamment. Mais l’hétérogénéité semble n’avoir qu’une couleur pour les dirigeants de la RTS. Chaque spectateur peut juger de l’uniformité des journalistes à l’écran, hommes et femmes, tant dans le style que dans le ton. Du moins pour l’instant, car une nouvelle politique basée sur la diversité et l’inclusion est en train d’être mise en place.

Selon Pascal Crittin, directeur de la RTS, cette politique de diversité «qui va au-delà de la question des genres» est en cours de développement. «Le spectre est en train d’être élargi, précise la responsable communication de l’entreprise, Emmanuelle Jaquet. Cet objectif fait partie des tâches que la nouvelle directrice RH (qui commence au 1er mai prochain) devra développer. Par ailleurs, un poste a été ouvert (responsable Diversité et Inclusion) et une personne est sur le point d’être nommée.»

Résistances du personnel

«La RTS ne tient pas de statistiques sur l’origine ethnique de ses collaboratrices et collaborateurs, ajoute-t-elle. Mais au sein de toute la SSR, un comité Diversity Board développe et accompagne des mesures concrètes propres à promouvoir et à ancrer la pluralité à la SSR. Sa tâche est de veiller à ce que les unités d’entreprise ne discriminent personne – quels que soient son genre, son âge, son origine, sa religion, son orientation sexuelle, son infirmité éventuelle, ses choix de vie ou ses valeurs.»

Des questionnaires au sein de l’entreprise ont été proposés. Les employés de la RTS sont-ils les mieux placés pour juger de leur propre mixité? Ce qui est sûr, c’est que la première étape du plan «diversité et inclusion» ne reçoit pas l’accueil escompté, comme le révèle un article de watson. Extraits: «Encore un questionnaire, franchement, y’en a marre»; «Quand on n’arrive pas à gérer un problème, on commande une étude ou on réalise un sondage»; «La direction de la RTS est morte de trouille sur les questions touchant au personnel. Elle n’arrive plus à prendre une décision.»

Le parti-pris de la peur

Si Jeanne prend la parole aujourd’hui, ce n’est pas pour dénigrer son employeur, mais bien pour expliquer que les raisons de ce parti pris ne sont pas aussi farfelues que le sous-entendent différentes théories du complot. Selon elle, les collaborateurs-trices de la RTS sont nombreux à avoir tout simplement eu peur à l’arrivée du virus: «Comment peut-on traiter un sujet avec une parfaite objectivité lorsqu’on a peur? Lorsqu’il nous touche directement?», s’interroge-t-elle.

En effet, contrairement à la plupart des autres événements qui jalonnent la vie d’un journaliste, la crise Covid a impacté tout le monde, ce qui pourrait fournir une autre hypothèse à ce manque d’esprit critique: la classe moyenne à aisée que représentent les employés de la RTS ont été les plus touchés par les mesures sanitaires, puisque celles-ci les entravaient dans leurs projets de voyage, de sorties, de vacances au ski, etc. Des considérations plus éloignées de la classe moins aisée. Ce qui pourrait expliquer un désir rapide de revenir au «monde d’avant» et d’applaudir toute décision qui semblait aller dans ce sens, comme la vaccination.

Un thème clivant

«La crise Covid est depuis deux ans le thème dominant de l’actualité mais aussi un thème particulièrement clivant dans la société. Nous y avons consacré des centaines de reportages, enquêtes et débats en abordant de nombreux angles et en permettant à tous les points de vue de s’exprimer, dans un souci permanent d’impartialité, explique Christophe Minder, porte-parole de la chaîne. Bien sûr que tout n’a pas été parfait mais dans l’ensemble, nos rédactions ont fait du bon travail et les retours du public sont très bons. D’ailleurs nos audiences montrent que les Romandes et les Romands étaient particulièrement nombreux à suivre nos rendez-vous d’information non seulement au plus fort de la crise en mars 2020, mais aussi depuis.»

En interne, on nous glisse que cette conclusion n’est pas parfaitement correcte, car le nombre de téléspectateurs devant l’écran s’est fortement contracté après 2020 et la réouverture des restaurants et lieux culturels.

Carence scientifique?

La compréhension de la situation sanitaire par notre service public est corrélée à la présence de spécialistes de la question. Ou plutôt à son absence. Un problème relevé par Christophe Ungar, l’un des rares journalistes au background scientifique de la RTS et ancien producteur de l’émission consacrée à la santé 36,9°, qui déplore un manque de reporters spécialisés sur cette question.

En tant que membre de l’Association suisse du journalisme scientifique, au nom de laquelle il s’exprime ici, Christophe Ungar estime que beaucoup de médias – sauf peut-être Heidi.news – n’étaient pas parfaitement armés pour traiter cette crise: «De façon générale, l’Association constate une érosion du nombre de journalistes scientifiques ces dernières années, tout comme de la place de la science au sein des médias.»

Interview critique? Pas possible sans solides connaissances

Concernant cette crise, ajoute-t-il, il fallait plus précisément des journalistes spécialisés en sciences de la vie et en médecine. «Cela aurait pu permettre des remises en question plus pertinentes. Ces questions sont complexes. L’interview critique nécessite un bagage scientifique et des connaissances pour ne pas s’entendre dire tout et n’importe quoi sans même le comprendre. Le manque d’esprit critique vient de ce manque de culture scientifique et de cette peur d’avoir l’air bête lorsque l’on se présente devant le virologue Didier Trono sans exactement savoir comment se reproduit un virus, ou ce qu’est l’ARN messager.»

Selon la responsable communication, Emmanuelle Jacquet, «l’information (TV et Radio) compte quatre journalistes scientifiques. Aux émissions d’actualité s’ajoutent les magazines CQFD (une dizaine de journalistes) et 36,9° (une dizaine de journalistes sur l’année).»

Pour Christophe Ungar, ces chiffres sont à relativiser: «Beaucoup de ces journalistes n’ont pas de formation scientifique, ni forcément d’intérêt pour les sciences. Ils sont parfois même planifiés sans grande motivation dans une rédaction scientifique ou médicale. Je pense toutefois que la radio a de l’avance. Il y a depuis des années une vraie volonté d’avoir un sain mélange entre les journalistes avec et sans formation scientifique. Dernièrement, un pôle science a même été créé afin de rassembler les compétences entre le département de l’actualité et l’émission CQFD. C’est une bonne nouvelle. Enfin!»

Traitement «tendancieux» de l’information

Le 3 février dernier, l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (AIEP) a déterminé qu’un reportage du 19h30 sur la stratégie suédoise contre le Covid «n’était pas conforme au principe de la présentation fidèle des événements.» [NdR. La Suède s’est distinguée en traversant l’épidémie quasiment sans mesures de contraintes ni masque obligatoire, politique taxée d’irresponsable par différents médias]

Ce reportage, signé François-Michel Schweizer et Tristan Dessert et intitulé Face au coronavirus, la stratégie suédoise montre ses limites, «contenait des informations inexactes, se référait à des sources problématiques et était tendancieux», selon la majorité des membres de l’AIEP. La présentation tendancieuse de la stratégie suédoise, ainsi que les critiques graves et insuffisamment étayées en rapport avec le traitement médical des personnes âgées («choix drastiques», «sélection impitoyable») ont été déterminantes, rapporte l’Agence sur son site.

Les auteurs du reportage ont-ils été influencés, dans un sens ou dans l’autre, par leur hiérarchie dans la réalisation de cette séquence? Non, selon Marc Allgöwer, rédacteur en chef adjoint de l’actualité TV, qui estime que le travail du journaliste a été fait en son âme et conscience et qu’il a «rempli tous les critères de la profession».

Autres plaintes en cours

«Pour l’instant, nous attendons de recevoir les considérants écrits afin de pouvoir nous prononcer sur le fond de la décision et opter, ou non, pour un recours auprès du Tribunal fédéral, explique-t-il.

D’autres plaintes populaires dénonçant un rôle de lobby politique et militant de la RTS dans sa couverture de la crise sanitaire ont été et sont encore en train d’être déposées auprès de l’AIEP. L’une d’entre elle, dénonçant un «traitement biaisé et inutilement alarmiste de la crise Covid» a d’ores et déjà été rejetée.

Conflits d’intérêts?

Si elle manquait d’effectif qualifié pour apporter une analyse scientifique appropriée à la crise sanitaire, la RTS diffuse tout de même 36,9°. Emission produite et présentée par Isabelle Moncada, qui n’est autre que l’épouse de Bertrand Kiefer, médecin, théologien et éthicien, également rédacteur en chef de la Revue médicale suisse. Une des figures de la crise, que l’on a pu voir d’un plateau à l’autre ces deux dernières années.

La journaliste est également membre de la Commission fédérale pour la préparation et la gestion en cas de pandémie (CFP). Celle-là même qui a préparé le plan pandémie de 2018, contenant notamment des recommandations concernant le port du masque, jugé utile. Contrairement au confinement, qui n’était pas conseillé en raison de sa balance bénéfices/risques défavorable.

Contactée, Isabelle Moncada a expliqué être en congé de la CFP: «Je ne participe plus à ses travaux en raison de la surcharge de travail lié à la pandémie.» Elle explique: «Les commissions extraparlementaires indépendantes comme la CFP ont un rôle précis. Il n’a jamais été question qu’elle se transforme en ‘Task force’. Le rôle de la CFP est d’élaborer un plan écrit à destination des différents professionnels du pays en cas de pandémie à Influenza, pas à coronavirus. L’OFSP n’a pas souhaité étendre ses compétences à tous les virus respiratoires, même si ses travaux sont transposables à d’autres virus transmis par voie aérienne.» La présence dans une telle commission fédérale de la productrice responsable de la plus importante émission de santé de la RTS a-t-elle toutefois pu mettre à mal – même inconsciemment – son objectivité pendant l’actuelle pandémie? La question reste ouverte.

Absence de débat

«Qu’il y ait pu y avoir dans les prémisses de la crise, un moment où on se sentait tous investis – journalistes, médias, et à plus forte raison les médias de service public – d’une forme de mission, presque soldatesque, c’est possible», reconnaissait récemment Alexis Favre ici même. Si le présentateur de l’émission d’actualité Infrarouge estime avoir continué à assurer le débat autant que possible, il suffit de visionner chacune des émissions pour s’apercevoir du déséquilibre dans la représentation des opinions.

Depuis mars 2020 et jusqu’à aujourd’hui, le responsable genevois de la santé Mauro Poggia et la vice-présidente de la Task Force Covid de la Suisse Samia Hurst sont les invités les plus fréquents d’Infrarouge, avec neuf apparitions chacun. L’infectiologue Didier Pittet trône sur la troisième place, avec six invitations, juste avant Didier Trono et ses cinq passages à l’écran.

Au vu de tout ce qui précède, on peut donc arriver à la conclusion suivante: la RTS, si elle veut pouvoir continuer à rendre service à son public, va devoir se renouveler autrement que par des tours de passe-passe sous forme de points médian. Aussi vite que possible et aussi lentement que nécessaire.