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Macron rend la franc-maçonnerie “intouchable”

Le président français a assimilé toute critique de ce mouvement initiatique à la haine des Juifs. Etat des lieux de ce que nous savons sur ce club VIP essentiellement masculin et de son influence.

Emmanuel Macron, allocution à l'occasion du 250e anniversaire de l'appellation Grand-Orient de France.
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Dans son discours du 8 novembre 2023 prononcé à l’occasion du 250e anniversaire du Grand Orient de France, la plus ancienne loge de France et la plus importante en Europe continentale, Emmanuel Macron a associé toute critique de la franc-maçonnerie à un rejet de la République, au même titre que l’antisémitisme :

“La haine des juifs, la haine des francs-maçons procèdent du même élan, sont deux préludes, deux prétextes à la haine de la République, puisque s’en prendre à un juif, c’est aussi chercher à atteindre le projet politique qui le reconnaît libre et égal, qui le reconnaît comme tel, c’est toujours chercher à atteindre la République.” Emmanuel Macron

En cinquante ans, le nombre de francs-maçons a été multiplié par cinq pour atteindre 200’000 en France. Grâce à un système de recrutement sélectif et proactif, on les retrouve dans toutes les organisations clés de la société où s’exerce un pouvoir. Une influence que des esprits critiques jugent croissante. Pourtant, le rôle cet ordre initiatique reste très peu abordé publiquement, malgré une série de questions soulevées: la place des femmes, la gouvernance participative, la transparence et les pouvoirs parallèles.

Origine lointaine et obédiences diverses

L’origine de ce mouvement se perd dans la nuit des temps. Il se réfère à un secret maçonnique lié à l’art de bâtir. «La franc-maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l’étude de la morale et la pratique de la solidarité […]», indique la Constitution du Grand Orient de France. 

Il existe de nombreuses obédiences et pratiques différentes. Certaines affirment leur laïcité, affranchie de toute confession, d’autres se rattachent à une inspiration chrétienne, d’autres encore au progrès social et moral.

Quels liens entre la République et les loges ?

L’histoire de l’influence de la franc-maçonnerie sur la société française est riche d’une évolution sur plusieurs siècles.

Certains, à l’instar du Jésuite Barruel, ont dénoncé la Révolution française comme une entreprise franc-maçonne. Cette thèse se heurte cependant à une réalité beaucoup plus complexe car, même à l’époque, la plupart des francs-maçons ont été maltraités par les révolutionnaires successifs.

Il est cependant indéniable que c’est grâce à ce bouleversement des pouvoirs entamé en 1789 que ces sociétés discrètes, mais de moins en moins secrètes au fil du temps, ont trouvé un terrain extrêmement favorable à leur développement. Et que les francs-maçons, se politisant de plus en plus au cours du 19e siècle, contribuèrent grandement à l’instauration de la République.

Omniprésents en France

Grâce à des méthodes de recrutement ciblées, discrètes et efficaces auprès de ceux qui occupent des postes à responsabilité, la franc-maçonnerie contemporaine exercerait depuis plusieurs décennies une grande influence sur la vie politique en France, au plus haut niveau.

En 1973, alors que le nombre de francs-maçons français était cinq fois moindre qu’aujourd’hui, le Grand Maître du Grand Orient de France, Fred Zeller, affirmait avec fierté :

L’influence de la maçonnerie est même peut-être plus importante encore, voyez-vous, que sous la 3e ou la 4e République. Elle se place à un autre niveau, autre part. Il n’y a pas aujourd’hui d’association, de groupement, de syndicat dans lesquels les francs-maçons ne se trouvent aux postes de responsabilités les plus éminents.

Plus récemment, c’était François Hollande qui affirmait dans un entretien que “si l’on croit dans la République, à un moment il faut passer par la franc-maçonnerie”. François Hollande ne serait pas lui-même un “initié” mais les francs-maçons occupaient “trois ministères régaliens sur quatre qui accueillent des ministres liés à cet ordre, un ratio qui n’a jamais été égalé sous la Cinquième République”, selon la journaliste d’investigation Sophie Coignard interrogée par Atlantico en 2013.

Force est de constater que la franc-maçonnerie n’est donc pas un simple club de plus, ce qui explique qu’Emmanuel Macron, tout Président qu’il soit, se déplace pour leur faire honneur. Lui-même a été soutenu par des “frères”, incontournables en politique comme dans tout lieu de pouvoir, comme nous l’apprend un article de Challenges.fr de 2019.

Il faut cependant relever que les différentes loges se déclinent en différentes obédiences, créant une diversité relative au sein de la franc-maçonnerie et aussi des luttes de pouvoir entre elles. Les loges qui plaident pour une ouverture et une modernisation du mouvement sont encore minoritaires, comme nous le verrons plus loin.

Où sont les femmes?

Aujourd’hui, en France, on compte une vingtaine d’obédiences accueillant en leur sein pas moins de 180’000 maçons, dont 75% d’hommes. Le nombre d’initiés a été multiplié par cinq en cinquante ans.

Dans ce mouvement universaliste mais élitiste se trouve une sur-représentation d’élus, médecins, patrons, avocats, enseignants, magistrats, fonctionnaires, policiers et militaires. Ceci découle du fait que le recrutement se fait souvent alors que la personne occupe déjà une place importante, ou qu’on a décelé en elle un fort potentiel pour y parvenir.

Le mouvement se veut en théorie un contre-poids vertueux à l’obscurantisme. Mais il porte encore les stigmates de la discrimination contre les femmes que ses pères fondateurs avaient érigée en condition sine qua non d’admission.

Voici à quoi ressemblaient les conditions d’accueil à la franc-maçonnerie dans le texte fondateur de 1723 du pasteur anglais Anderson :

« Les personnes admises membres d’une loge doivent être hommes de bien et loyaux, nés libres et d’âge mûr et discrets, ni esclaves, ni femmes, ni hommes immoraux et scandaleux, mais de bonne réputation. »

La Prof. Cécile Révauger exprimait cette réalité en 2022 dans un entretien sur France Culture consacré à cette place des femmes au sein du mouvement :

*Même si les premières révisions à cette exclusion systématique interviennent dès le courant du XVIIIe siècle avec la création de loges mixtes spécifiques, dites “d’Adoption”, destinées à admettre la présence des femmes dans l’organisation, la situation actuelle est encore largement tributaire de cette asymétrie première : malgré la multiplication des loges mixtes et la création en 1952 d’une obédience exclusivement féminine (la Grande Loge Féminine de France), elles représenteraient aujourd’hui seulement 25% des effectifs de la franc-maçonnerie française, et moins encore à l’échelle mondiale.”

La chercheuse en sciences sociales Françoise Gaspard affirmait en 1996 déjà que “leur rareté dans les lieux de pouvoir peut désormais être analysée comme le résultat d’une exclusion”. Existe-t-il donc au sein de la franc-maçonnerie une “haine” des femmes qu’Emmanuel Macron aurait oublié de mentionner ? Cette exclusion des femmes ne découle-t-elle pas naturellement du fait que le cadre et les règles de ce mouvement ont été pensés par des mâles d’un certain âge ? Et par ricochet, on peut tout aussi se poser la question de savoir si celles qui ont accepté d’évoluer dans ces structures représentent vraiment toutes les femmes.

Une carence de recherches sur ce mouvement

Ces questions légitimes n’ont toujours pas de réponse actuellement, le mouvement ne faisant pas l’objet de recherches sociologiques poussées, comme le mentionnait un article du Monde en 2017 :

“Trouver des travaux scientifiques sur l’actualité de ces sociétés fermées est mission impossible.”

Françoise Gaspard expliquait en 1996 que “la tâche qui avait été assignée au pasteur Anderson était d’écrire l’histoire de la maçonnerie. Il s’agissait d’établir, à travers un récit, le pont entre la maçonnerie dite ‘opérative’, celle des bâtisseurs de cathédrales et autres tailleurs de pierre, et ce qui était en train de devenir une maçonnerie essentiellement spéculative qui empruntait ses rites initiatiques et ses symboles à la première. L’objectif était aussi d’élaborer les statuts d’une société de pensée afin de l’organiser, de l’institutionnaliser, de lui donner une direction destinée à rassembler des groupes épars et à créer, dans son orbite, de nouveaux groupes qu’on nomma loges ou ateliers.”

Sommet sur la sécurité nucléaire, Séoul 2012

Cette cooptation essentiellement masculine pourrait-elle expliquer en partie pourquoi l’Occident est toujours majoritairement dirigé par des hommes d’un certain âge acquis au rite du costard-cravate, comme on peut l’observer sur quasiment toutes les photos de groupe des grandes rencontres des leaders mondiaux ?

La franc-maçonnerie semble avoir encore beaucoup de chemin à faire pour évoluer vers une véritable diversité de ses membres.

Le serment du secret est-il compatible avec une fonction publique?

“Les liens les plus durables entre deux ou plusieurs personnes sont généralement noués lors d’étapes décisives dans l’existence : études, formation professionnelle, scoutisme, sport, etc. Il en a toujours été ainsi et cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de franc-maçonnerie, avec son initiation fondatrice d’une relation privilégiée entre tous ses membres.” (Grande Loge Alpina Suisse)

Un autre problème que la franc-maçonnerie soulève est celui de la compatibilité du serment de secret absolu avec une responsabilité publique. Cette forme d’omerta, encore exigée dans la majorité des obédiences, demande parfois d’aller jusqu’au sacrifice de sa propre vie, comme on peut le voir dans cette vidéo :

N’y a-t-il pas conflit entre la constitution, la loi et ce serment ? Hors de la loge, quelle sera l’attitude de ce magistrat après ce pacte lors d’une audience au tribunal ?

Du moment que l’initié prend son engagement à cœur, il est clair que des cas de conflits de loyauté peuvent se produire. Qui trahirait son propre frère, même s’il a commis un crime?

Un engagement total

Selon Irène Mainguy – auteure maçonnique citée dans un article dédié au serment sur le site de la Grande Loge Alpina en Suisse – l’engagement est total et traverse les frontières: “le récipiendaire s’engage de façon totale, sans restriction, avec rectitude, comme une pierre posée d’équerre qui doit soutenir l’édifice à venir»:

Le serment prêté est le lien invisible qui scelle un pacte d’union entre tous les Francs-maçons dans le monde, sorte de câble qui relie et rattache chaque initié à l’Ordre maçonnique et à une fraternité initiatique. Il est rappelé lors de chaque Tenue par le signe d’ordre et à son issue en se séparant sous le serment du silence.

Par le serment – du mot grec orkos, ce qui renferme –, «l’homme renonce à une certaine part de sa liberté, ce qu’il fait devant une autorité qui a le pouvoir, en tous lieux et en tout temps, de connaître un manquement à cette renonciation et de le punir», explique l’auteure.

Forts liens professionnels

L’aspect du réseautage entre francs-maçons débute déjà au niveau local, comme le révélait Denis, un “frère” de Nancy dans un entretien paru en 2022 sur Actu.fr :

«Imaginons qu’un gérant de société est franc-maçon et qu’un frère cherche un travail. Si des emplois sont à pourvoir, il le choisira bien plus volontiers, car il sait qu’ils partagent les mêmes valeurs»

Dans le secteur public, cette préférence est problématique et a pour conséquence au fil du temps que de plus en plus de francs-maçons obtiennent des postes à responsabilité, remettant en question le concept d’égalité des chances cher à la République.

Ce libraire dit avoir pu bénéficier d’un soutien financier lors du lancement de son activité, sans avoir à le rembourser. Il poursuit en évoquant le besoin de discrétion inscrit dans le mouvement :

“Entre nous, on se reconnaît par des phrases qui sont significatives. Mais aussi par ce que l’on appelle l’attouchement franc-maçonnique, une manière particulière de se serrer la main. Tout cela est indispensable, car nous ne pouvons nous risquer à parler en présence d’un profane.”

Selon Alain Minc, le conseiller du tout-Paris affairiste, cité dans un article très instructif de Challenges.fr sur l’influence des maçons à l’ère Macron, on peut deviner que le culte secret a influencé une situation de la manière suivante :

Sans verser dans la parano, chaque fois qu’une décision illogique est prise dans le monde des affaires, on peut suspecter qu’il y a solidarité maçonnique.

Difficile d’en savoir plus, sauf lorsque des luttes de pouvoir intestines deviennent trop flagrantes pour être ignorées et que l’appartenance des protagonistes devient un secret de polichinelle. Quelques exemples sont cités dans le même article, notamment dans le milieu bancaire français.

Dans la police, “un commissaire sur quatre est franc-maçon”

Selon Sophie Coignard, qui a publié le livre “Un État dans l’État” en 2009 sur le sujet, l’influence des loges est toujours aussi forte, notamment dans la haute administration, spécialement dans la police comme elle le précisait dans un article de L’Express à l’époque :

Le jeune patron du syndicat de policiers Synergie confie aussi son expérience : “Je reçois beaucoup de lettres marquées des trois points, ou qui se terminent par “fraternellement”, et certains me serrent bizarrement la main lorsqu’ils me disent bonjour.” Les commissaires eux-mêmes ne sont pas en reste […] puisque, selon les estimations, 1 commissaire sur 4 est franc-maçon. […] Tout le monde parle de la proportion de francs-maçons chez les commissaires, plaisante l’un d’entre eux. Mais personne ne s’est jamais interrogé sur ce ratio chez les contrôleurs généraux, le grade supérieur. Là, je pense qu’on tourne à plus de 50%.

La justice ne fait pas exception à cette tendance selon le même article. Ceci est d’autant plus inquiétant que les deux caractéristiques principales des relations entre frères semblent être de nature à interférer avec le cours normal du travail des autorités, relève Sophie Coignard :

L’influence, cela va du copinage à l’affairisme et, si le second s’est peut-être raréfié dans les loges, le premier est plus vivace que jamais.

Les journalistes aussi

Dans un entretien de 2015 sur BFMTV, Alain Bauer, ancien grand maître du Grand Orient, affirmait qu’il y a “plein” de journalistes francs-maçons : il y a ceux qui “assument le fait de le dire” et d’autres qui le cachent.

À la question de savoir si “être franc-maçon est compatible avec le métier de journaliste?”, Alain Bauer admettait que “quand on assume la fierté de l’appartenance, il n’y a pas de problème particulier, le problème c’est le secret”.

Une appartenance à la franc-maçonnerie relève-t-elle de la sphère privée ?

En 2005 en France, suite à des procédures entamées après une enquête du magazine L’Express, la Cour de cassation arrêtait: “La révélation de l’exercice de responsabilités ou de direction au titre d’une quelconque appartenance politique, religieuse ou philosophique ne constitue pas une atteinte à la vie privée”.

Voilà qui plaide en faveur de l’obligation d’annonce de ce type d’affiliation à toute personne occupant une fonction publique, ce qui semble une étape fort lointaine, laissée sans débat public actuellement.

Un obstacle à la démocratie ?

Que l’on apprécie ou non la franc-maçonnerie, beaucoup d’observateurs constatent qu’il s’agit d’une structure influente et opaque qui se superpose aux institutions démocratiques.

Son caractère élitiste exclurait en effet la majorité des citoyens et son rituel du secret empêcherait la transparence nécessaire à tout débat et contrôle des pouvoirs.

La franc-maçonnerie porte-t-elle les ingrédients de graves interférences avec la vie publique, économique, politique et judiciaire? Mais au contraire du terrorisme, des sectes ou de l’antisémitisme, il n’existe aucun observatoire indépendant à son sujet.

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