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Les Etats-Unis intensifient le contrôle des maladies aux aéroports

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Un réseau de surveillance génomique des voyageurs se met en place, avec les risques d’intrusion dans la vie privée que cela implique.

L’agence fédérale des États-Unis en matière de protection de la santé publique, la CDC, a annoncé l’extension de son programme de dépistage des maladies dans les aéroports à 30 maladies supplémentaires. Conçu pour identifier les nouveaux variants du Covid, le programme de surveillance génomique des voyageurs vise désormais une surveillance plus générale des maladies respiratoires. Si la mesure peut rassurer certains voyageurs sur leur état de santé, elle ravive aussi les inquiétudes quant à l’utilisation des données de santé comme un moyen de contrôle des individus. Le croisement avec d’autres types de données personnelles contribue à l’émergence de nouveaux marchés dans le cadre d’une gouvernance mondiale par la technologie.

Anticiper les maladies

Le programme de surveillance génomique des voyageurs a été lancé en 2022 dans plusieurs grands aéroports des États-Unis, comme un système d’alerte précoce pour identifier les variants du virus Covid-19. Dans la pratique, il s’agit de prélever des échantillons nasaux (les fameux tests PCR) auprès des voyageurs  internationaux et de recueillir une série de données personnelles via un questionnaire. En cas de résultat positif, les données sont transmises aux laboratoires de la CDC pour des analyses complémentaires. Plus de 360 000 voyageurs originaires de 135 pays y ont déjà participé sur base volontaire.

 

La carte des aéroports américains participant au programme de surveillance génomique

Aujourd’hui, la CDC fait passer ce programme de surveillance génomique à la vitesse supérieure, en incluant 30 agents pathogènes supplémentaires à la liste des maladies recherchées, notamment le virus respiratoire syncytial (VRS) et les virus de la grippe, mais aussi des bactéries résistantes aux anti-microbiens.  La phase pilote est mise en œuvre dans quatre grands aéroports américains : Kennedy International Airport (New York), San Francisco Airport, Logan International Airport (Boston) et Dulles Airport (Washington).

À noter que le programme inclura aussi l’analyse des eaux usées. Cindy Friedman, la directrice du programme et responsable du département de la santé des voyageurs de la CDC estime que ce dépistage est efficace :

L’analyse des eaux usées et des prélèvements nasaux a permis de détecter de nombreux variants du Covid-19 entrant aux États-Unis, jusqu’à six semaines avant qu’ils ne soient officiellement signalés à l’échelle nationale. Cela a notamment été le cas pour Omicron BA.2, BA.3, XBB et BA.2.86. C’est pourquoi le programme se concentre à présent sur la surveillance des virus respiratoires émergents à l’approche de la saison des rhumes et des grippes.

Retour du passe sanitaire?

Les promoteurs de la surveillance génomique des voyageurs affirment que la mise en place de ce système est une étape cruciale dans la détection des menaces potentielles pour la santé publique. En soi, l’idée paraît sensée. Mais, même si les données des participants sont anonymisées, de nombreux critiques estiment que cela crée un précédent très inquiétant qui fait reculer les limites de l’atteinte aux libertés individuelles et à la protection de la vie privée.

En premier lieu, il faut craindre le retour des passes sanitaires, comme cela a été le cas durant la période du Covid. Après la fin de la pandémie, l’OMS s’est lancée dans le développement d’un réseau global de certification de santé numérique, inspiré des passes sanitaires de l’Union européenne. Il s’agit d’une initiative unilatérale du Secrétariat de l’organisation et de son directeur Tedros Ghebreysus, dans le cadre des mesures de lutte contre les futures pandémies. L’OMS y travaille en partenariat avec l’IATA, l’Association internationale pour le transport aérien et l’Organisation Internationale de l’Aviation Civile. Cet objectif va bien au-delà de la vérification du statut vaccinal. Il s’agit aussi d’authentifier les résultats de tests, les certificats de guérison de maladies, la mention de toute une série de conditions médicales ou de paramètres de santé, la vérification de prescription de médicaments, et même de valider les qualifications et titres des praticiens de santé.  L’on peut à peine imaginer la pléthore de conséquences qui peut découler de la mise en place d’un tel système.

Il est évident que si des centres de tests s’installent dans différents aéroports, le risque augmente de voir la libre circulation des personnes conditionnée par leurs données médicales; la détection de pathogènes ‘à potentiel pandémique’ ne devenant alors qu’un paramètre isolé parmi tant d’autres.

Contrat avec le Qatar

Le fait que la CDC  travaille à ce programme de surveillance des voyageurs en partenariat avec des entreprises privées telles que Ginkgo Bioworks et XpresCheck interpelle également. Les activités de ces firmes posent la question de savoir jusqu’où les données des voyageurs seront exploitées.

La firme Ginkgo Bioworks est une société de biotechnologie qui entend mettre en place une infrastructure mondiale de biosécurité afin de donner aux gouvernements, aux communautés et aux responsables de la santé publique les moyens de détecter les menaces biologiques les plus diverses et d’y répondre.

L’entreprise a déjà conclu des contrats de surveillance génomique avec le Qatar et compte étendre son réseau de laboratoires à d’autres grands aéroports internationaux. Michael McKnight, un des fondateurs de l’entreprise explique sa vision :

Le rêve serait de mettre en œuvre des programmes similaires dans le monde entier, dans de très nombreux endroits, afin de détecter les maladies beaucoup plus tôt que si quelqu’un se présentait à l’hôpital avec une maladie émergente.

Cette mesure de lutte contre les futures pandémies aurait évidemment des avantages sonnants et trébuchants:

en détectant quelque chose très tôt, on pourrait entrer beaucoup plus rapidement dans la phase de fabrication d’un vaccin. Aujourd’hui, nous ne disposons pas d’un système d’alerte précoce aussi efficace que nous le souhaiterions. Ceci accélère les premières étapes de ce processus.

En somme, l’enjeu est de taille puisque la compagnie espère détecter et surtout monnayer ‘les séquences génétiques’ des nouveaux virus qui permettront de fabriquer les prochains vaccins pandémiques.

Faire parler l’ADN grâce à l’IA

Mais, leur gain ne se semble pas devoir se limiter au seul développement de nouveaux vaccins et médicaments. L’un des objectifs principaux de l’entreprise est aussi l’utilisation de l’intelligence artificielle pour décrypter l’ADN. La firme vient par exemple de conclure un accord avec Google Cloud pour avoir accès à son infrastructure et analyser ses données. Jason Kelly, un autre fondateur de Ginkgo Bioworks a expliqué l’intérêt de cet accord à la chaîne CNBC :

On a vu comment l’intelligence artificielle de Chat GPT est capable de traiter des contenus linguistiques pour produire des résultats pertinents en un temps record. L’idée est de faire la même choses à partir de données issues de notre ADN. Nous voulons faire parler le langage ADN, le génome de tous les organismes vivants.

A nouveau, l’on peut à peine imaginer les répercussions d’un tel croisement de données biologiques, génétiques, biométriques, administratives et sociales. Mais l’on sait déjà que Gingko développera un ensemble de modèles d’exploitation des données qu’elle vendra sous forme de divers services aux entreprises de pointe dans les biotechnologies et la génétique. Et, toujours selon le directeur de l’entreprise, Google envisagerait déjà de négocier l’accès aux données issues de ses plateformes de vente, telles que Market Place sur Facebook.

Un pas de plus vers une gouvernance mondiale de la santé

En Europe aussi, l’on s’attelle à surveiller les eaux usées des avions en provenance de pays extérieurs à l’Union. Des lignes directrices ad-hoc ont été publiées par la Commission européenne en janvier 2023 dans le cadre du système européen de surveillance des eaux usées pour le SRAS-CoV-2, afin de standardiser les procédures d’échantillonnage et d’analyse dans les États membres. Car avec la pandémie, ce type de surveillance a été instauré par les autorités de santé de très nombreux pays, aux quatre coins de la planète.

 

 

Une carte publiée dans un article du Lancet, indique par exemple les 10 principaux aéroports internationaux dans lesquels ces analyses sont effectuées. En dehors des États-Unis, ces contrôles sont pratiqués aux aéroports de : Dubai, Istanbul, Amsterdam, Francfort, Paris, Londres, Madrid, Doha, Antalya (Turquie) et Cancun (Mexique).

En soi, la mise en place rapide de ces systèmes de surveillance de la santé des voyageurs aériens n’a rien d’étonnant. Dans un rapport de 2018 intitulé “Future of the Airline Industry 2035” l’IATA, l’Association internationale du trafic aérien, avait anticipé le rôle crucial que pouvait jouer le contrôle de la santé des passagers dans les politiques de santé publique et dans le développement de nouveaux produits pour l’industrie pharmaceutique. Ce rapport s’inscrit dans la poursuite de la ‘Santé globale’, un concept clé utilisé par l’OMS et les organisations onusiennes pour justifier des modes de surveillance accrus dans le cadre des objectifs de développement durable et de la préparation aux futures pandémies.

L’on ne connaît pas la teneur actuelle des textes de la révision du Règlement sanitaire international et du ‘traité pandémie’ qui seront soumis à la prochaine assemblée de l’OMS en mai 2024, car le Secrétariat travaille à huis clos jusqu’à cette échéance. Mais les documents préparatoires confirment bien la volonté de créer un réseau de laboratoires et un réseau de certification numérique agréés et contrôlés par l’OMS. Et, quel que soit le résultat du vote des pays membres au mois de mai, ces objectifs sont déjà en cours de réalisation. En mai 2023, l’organisation a annoncé le lancement de son réseau international de surveillance des agents pathogènes, qui fait partie du pôle de renseignement des pandémies et des épidémies développé avec un ensemble de ‘partenaires de la santé’ du secteur public et privé et le financement de la Fondation Rockefeller.

À terme, il se peut donc que le réseau de surveillance génomique qui s’installe aujourd’hui dans différents pays soit rapidement placé sous le contrôle direct de l’OMS et de ses partenaires.  Ceci constitue sans doute un pas de plus vers cette “gouvernance mondiale de la santé” par la technologie, que l’Union européenne et nombre de ses dirigeants semblent appeler de leur voeux.