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Le Coronavirus dans les médias ou l’information maltraitée par les apôtres de la moralité

par Rainer Stadler (traduction de Christian Campiche)

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Article republié ici avec l’autorisation de l’auteur Rainer Stadler, (entre autres) spécialiste des médias et ancien collaborateur du quotidien zurichois la Neue Zürcher Zeitung (NZZ).

La voix des alarmistes a façonné l’arène médiatique pendant la crise du Coronavirus. Ancien collaborateur de la NZZ, spécialiste des médias, membre du Conseil de fondation du Conseil suisse de la presse, le journaliste Rainer Stadler analyse ce phénomène qu’il juge inquiétant dans le journal en ligne infosperber.

Les titres de la presse se font soudain moins sombres ces derniers jours: “La Taskforce met en garde contre les hôpitaux surchargés – mais le pronostic est très incertain”, a-t-on pu lire dans le Tages-Anzeiger. Le journal zurichois écrit également qu’il existe “un espoir justifié que la Suisse s’en tire en laissant Omicron courir”. Le Blick rapporte à son tour: «La Task Force met en garde contre les vagues monstres». Le titre note cependant: “Mais est-ce aussi dangereux?”.

A la fin de l’année dernière, le son de cloche était différent : «Nous nous dirigeons de plus en plus vers une catastrophe», titrait 20 Minutes début décembre, renvoyant à l’infectiologue Andreas Widmer, lequel jugeait les mesures Covid du Conseil fédéral trop faibles. Le même jour, le Tages-Anzeiger écrivait: «La Suisse ose la grande expérience Corona». Et juste avant Noël, le Blick titrait: “Ce n’est pas une vague, mais un mur d’Omicron qui vient vers nous”. Le journal citait la virologue Isabella Eckerle. Le Tages-Anzeiger demandait à la fin de l’année: “Pourquoi le Conseil fédéral est-il silencieux?” Si le gouvernement veut toujours éviter un tri sévère dans les hôpitaux, il doit agir maintenant, ajoutait le commentateur.

Pourquoi ce changement de perspective ?

Comment expliquer ces points de vue plus positifs? Le scandale du PDG de Ringier (voir notre article ci-dessous), Marc Walder, et les critiques médiatiques qui en découlent ont-ils marqué à ce point les rédactions ? Il est frappant que des articles paraissent aujourd’hui, attirant l’attention sur l’inexactitude des données concernant les cas de Covid fournies par les hôpitaux. Les médias auraient pu relever ce problème plus tôt. Infosperber, par exemple, mettait déjà en doute il y a un an la fiabilité des chiffres des hôpitaux, qui influencent les décisions officielles.

En ce qui concerne le dernier variant du coronavirus, il y avait déjà des signes en décembre que la fin du monde n’était pas imminente. Les médias ont néanmoins préféré la perspective dramatique, comme si souvent au cours des deux dernières années pandémiques. On est toujours plus intelligent avec le recul, l’erreur est humaine. Le penchant éditorial pour les titres sombres peut être décrit comme une maladie professionnelle typique («Bad News Is Good News»), ou comme un manque de volonté d’avoir un regard critique. Du moins sont-ce les reproches que les détracteurs des mesures gouvernementales adressent aux médias.

Autrement résumé: d’une part la plupart des rédactions effraient la population avec des slogans anxiogènes. D’autre part, elles soutiennent trop amicalement les actions de l’exécutif.

Effrayer le public?

Des milliers d’articles sur les conséquences sanitaires, sociales, économiques et culturelles du coronavirus sont désormais parus. Quiconque s’affole encore en lisant des informations actuelles devrait faire preuve de sang froid. Et reconnaître que le ton général des annonces médiatiques a été caractérisé à maintes reprises par son caractère unilatéral. L’éventail des sujets et des contenus est néanmoins si large que toute personne intéressée a la possibilité de se forger sa propre opinion – ou du moins de déterminer ce qui n’est pas encore clair.

Cela pour dire que les titres trompeurs et dramatisants n’ont pas seulement été répétitifs et discutables. Une fois passée l’horreur des premières semaines de Corona, ils ont entretenu un théâtre médiatique où nul n’était toutefois obligé d’applaudir contre son gré, ni de croire les yeux fermés aux messages anxiogènes. En informant de manière unilatérale ou trop peu critique, les rédactions ont nui finalement à leur image, elles ont miné leur crédibilité.

La critique est toujours façonnée par les intérêts et les perspectives de la personne qui fait les reproches. Les perceptions respectives sont d’autant plus sensibles qu’un sujet influe sur son propre cadre de vie et menace éventuellement ses moyens d’existence propres. En ce sens, les émotions suscitées par la pandémie ne sont en aucun cas surprenantes. Il est d’autant plus difficile de s’accorder sur des conclusions incontestées. Le coronavirus a déclenché une guerre des visions du monde, en partie chaude et en partie froide. Celui qui voyage entre les fronts se déplace inévitablement sur des champs de mines.

Les principales rédactions ont-elles fourni des informations trop proches du gouvernement ? L’accusation est entendue principalement dans le camp des critiques des mesures – et dans les organes médiatiques qui courtisent les sceptiques en tant que clients potentiels et poursuivent donc leurs propres intérêts pour des raisons de stratégie de marché. Ces tacticiens, soit dit en passant, marchent sur une mince couche de glace. Le segment très hétérogène des sceptiques se désintégrera rapidement à la fin de la pandémie.

De concert avec d’influents scientifiques

Dans l’ensemble, on peut constater que la majorité des rédactions ont bien critiqué l’exécutif, mais pas dans le sens des corona-sceptiques. Au contraire, elles ont exigé des interventions plus sévères de la part d’autorités louvoyantes, y compris des couvre-feux. Elles l’ont fait de concert avec d’influents scientifiques. On peut même dire qu’il y avait plus de consensus entre les rédacteurs et les scientifiques alarmistes qu’entre les médias et le gouvernement. Des experts compétents avec des opinions dissidentes ont trouvé peu ou pas d’audience.

Si des voix plus nuancées ont pu être entendues au niveau des rédactions, le bruit créé par les alarmistes a façonné l’arène médiatique. Cela a été particulièrement prononcé il y a un an, lorsqu’un nombre de décès supérieur à la moyenne dû au Corona a été signalé en Suisse. Les porte-parole des médias ont accusé les dirigeants politiques d’être inactifs et d’inhumanité, leur reprochant la froideur et l’indifférence. On disait que les gens étaient sacrifiés au intérêts de l’économie. On parlait même d’eugénisme.

C’était inquiétant, car la fureur des moralistes réprimait la curiosité des journalistes. Les rédacteurs ont commencé lentement à se demander quelles pouvaient être les causes de ces nombreux décès et quelles étaient les conséquences des mesures pour les résidents des maisons de retraite et pour les jeunes. Il a fallu longtemps aux moralisateurs journalistiques pour se rendre compte qu’il convenait d’établir un compromis entre les libertés civiles et les droits protecteurs. Ces prédéterminations d’un moralisme unidimensionnel sont la raison pour laquelle les données supposées solides ont été rejetées avec un scepticisme insuffisant et les voix critiques ignorées avec complaisance. Tout cela doit être qualifié de grave lacune dans l’information médiatique.

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