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Les Suisses voteront le 9 juin sur le droit à l’intégrité physique

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L’initiative et la recommandation de vote des autorités posent une très vieille question philosophique.

La Confédération a récemment annoncé que les Suisses voteront le 9 juin prochain sur l’initiative populaire «Pour la liberté et l’intégrité physique», qui s’oppose en substance à l’obligation de se faire vacciner.

Voici le texte de l’initiative déposée le 16 décembre 2021:

Les atteintes à l’intégrité physique ou psychique d’une personne requièrent son consentement. Si la personne concernée refuse de donner son consentement, elle ne doit ni se voir infliger une peine, ni subir de préjudices sociaux ou professionnels.

Gouvernement et parlement recommandent un rejet

Le Conseil fédéral et le Parlement recommandent de rejeter l’initiative. Sur le site de l’Office fédéral de la santé publique, où cette recommandation de vote est présentée, on peut lire ce qui suit:

L’intégrité physique et psychique est déjà inscrite dans la Constitution en tant que droit fondamental. Par ailleurs, on ignore quelles seraient les conséquences concrètes en cas d’acceptation, notamment sur le travail de la police et de la justice.

La pandémie de coronavirus a atteint la Suisse au printemps 2020. En conséquence, le Conseil fédéral a pris des mesures parfois radicales dans le but de protéger la population contre le virus et d’éviter une surcharge du système de santé, notamment des hôpitaux. En parallèle, les milieux de la recherche ont commencé à développer des vaccins contre ce nouveau virus. Une grande partie de la population a alors placé de grands espoirs dans ces produits, tandis qu’une autre s’est opposée à la vaccination.

C’est dans ce contexte sociopolitique qu’a été lancée à l’automne 2020 l’initiative «Pour la liberté et l’intégrité physique».

Une section est dédiée à des questions suivies de réponses officielles.

L’intégrité physique et psychique est-elle déjà inscrite dans la Constitution?

L’intégrité physique et psychique fait déjà partie des droits fondamentaux prévus par la Constitution fédérale (art. 10, al. 2). Ce droit protège le corps humain contre toute atteinte de l’État. En principe, une telle atteinte est autorisée uniquement si la personne concernée y consent.

Les droits fondamentaux ne sont pas absolus. Sous certaines conditions, l’État peut les limiter.

Est-il possible d’introduire une obligation vaccinale en Suisse?

Même pour la vaccination, l’État doit respecter le droit à l’intégrité physique et psychique. Dans certaines situations exceptionnelles, la loi sur les épidémies prévoit la possibilité d’introduire temporairement une obligation vaccinale pour certains groupes de personnes, pour autant qu’il ne soit pas possible de protéger la population par des mesures moins strictes.

Dans un communiqué, la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de la santé appuie et détaille la position des autorités fédérales mais se montre moins sibylline. On y lit carrément que l’initiative “touche le monopole de la force légitime détenu par l’État”:

Étant responsables de la police et de la santé, les cantons seraient les premiers concernés. L’initiative touche le monopole de la force légitime détenu par l’État. Ce monopole est une condition nécessaire pour que la Confédération, les cantons et les communes puissent exercer leur pouvoir de légiférer et d’appliquer le droit.

En résumé, la position des autorités est la suivante: le droit à l’intégrité physique des personnes est déjà suffisamment protégé en Suisse; accroître cette protection entraînerait des contraintes trop importantes pour l’État, dont la capacité de gouverner par la force serait trop fortement réduite.

Question philosophique

Le débat touche donc à un principe essentiel de philosophie politique, qui consiste en fin de compte à demander: le droit à la vie et à l’intégrité physique est-il un “droit naturel”, ou un “droit légal”? En d’autres termes, dispose-t-on de ce droit à la naissance, et est-il donc inaliénable, ou ce droit est-il au contraire conféré par l’État lui-même, et peut-il donc être subordonné à quelque impératif collectif?

Le principe de droit naturel, dans sa conception moderne, date des Lumières, et les philosophes du 18ème siècle étaient déjà divisés sur le sujet.

D’un côté, les partisans de la philosophie libérale classique comme Frédéric Bastiat ou Thomas Jefferson postulaient que le droit à l’intégrité physique est conféré par Dieu à la naissance, et qu’il est donc inaliénable; en d’autres termes, l’esclavage est immoral dans l’absolu; c’est-à-dire que ce principe relève d’une constante naturelle, qu’il ne s’agit pas d’une simple construction de l’esprit, et qu’il est donc vrai à travers l’espace et le temps. Selon eux, l’initiation de la violence est contraire à la loi et la volonté divines, indépendamment de la compréhension des Hommes.

On retrouve ce principe formulé en toutes lettres dans la Déclaration d’indépendance des États-Unis, où on lit en introduction:

Nous tenons ces vérités pour évidentes, à savoir que tous les hommes sont créés égaux, qu’ils sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables.

Le document de 1776 décrit ensuite ces droits naturels que l’État a le devoir de protéger. Selon les auteurs, en aucun cas ces droits ne sont conférés par l’État lui-même; celui-ci se doit simplement d’en être le garant, indépendamment de toute considération utilitaire, ou de la contrainte que cela représente sur sa capacité à régner. C’est le mot inaliénable qui est essentiel ici: il signifie que les droits énumérés dans le document sont imprescriptibles et inviolables; aucune condition ou justification n’existe pour les contraindre.

De l’autre côté du débat, on trouve des philosophes comme Jean-Jacques Rousseau ou Alexander Hamilton. Selon eux, le principe de droit naturel n’existe pas, et c’est au contraire l’État éclairé qui confère et respecte, dans la mesure de ce qui est possible ou pratique, les droits fondamentaux.

Cette dichotomie philosophique s’est cristallisée plus tard autour du débat sur l’esclavage aux États-Unis; d’un côté ceux qui prétendaient que l’abolir était un idéal irréaliste, car on ne dispose d’aucun autre moyen pratique de ramasser le coton; et de l’autre, ceux qui avançaient que l’abolition de l’esclavage est un impératif moral, et qu’il est indispensable même si cela signifie qu’on doive se passer de coton, et que toute la société doive s’appauvrir.

Liberté ou sécurité?

Pour replacer ce débat dans le contexte de la votation du 9 juin, c’est donc cette même question, vieille de deux siècles au moins, qui est posée.

Il est incontestable que si le “oui” l’emportait le 9 juin, et que si cette volonté se voyait par la suite respectée, en cas de véritable pandémie, l’État ne serait plus en mesure d’imposer quelque restriction que ce soit, et sa capacité à endiguer l’urgence pourrait être compromise.

Mais cet argument suffit-il à privilégier le “non”? Ou bien, au contraire, l’aspect moral doit-il l’emporter, au-delà de toute considération utilitaire?

Tel est le choix qui s’offrira à la conscience des Suisses dans le secret de l’isoloir.