Covidhub est devenu essentiel.news le 8 avril 2024, découvrez pourquoi.

Monoculture de l’info de masse: un cri d’alarme

La sortie d'un livre de 23 journalistes suisses connus dénonçant le conformisme idéologique des médias annonce-t-elle un renouveau de l'infodiversité et du débat public?

Partager

Sur l’image, de gauche à droite: Zeynep Ersan, Raphaël Pomey, Romaine Jean, Jacques Pilet, Jonas Follonier.

«Sans diversité de vues, pas de journalisme!» C’est un cri d’alarme rédigé par 23 journalistes, largement connus et respectés dans le monde médiatique suisse (1). De toutes tendances et sensibilités, ils convergent vers un seul constat: la presse du monde occidental dérive vers une “monoculture idéologique”, où l’esprit critique, le débat, la curiosité, le courage et les avis dérangeants diminuent dangereusement. Voire sont carrément stigmatisés et censurés.

C’est la première fois dans le monde francophone, à notre connaissance, qu’un tel constat émane de l’intérieur de la profession. Qui plus est, ces 23 témoignages sont publiés par un grand éditeur romand, Pierre-Marcel Favre. L’ouvrage a été coordonné par la journaliste économique Myret Zaki, ex rédactrice en chef de Bilan.

Appel au dialogue… pour l’amour du métier!

La sortie du livre le 6 février a été marquée par un débat au Club suisse de la presse à Genève, devant une salle comble. Il s’agit d’un “véritable appel au dialogue (…) et à la réflexion collective du monde de la presse”, a souligné la directrice du Club Isabelle Falconnier.

Les auteurs ne font pas le procès des médias ou de leurs confrères. Leur vive inquiétude exprime un profond attachement, un amour même, envers leur métier, affirme d’emblée Myret Zaki. Certaines idées, certains milieux, certains thèmes sont totalement écartés de la place publique. Du coup, une grande partie de la population ne se sent plus représentée, ce qui contribue largement au désamour du public et au transit des lecteurs vers les médias sociaux ou le «journalisme citoyen».

Le règne des anathèmes

Mais les médias n’ont-ils pas de tous temps été proches du pouvoir, donc contrôlés, questionne l’animatrice du débat Romaine Jean? Certes, répond Jacques Pilet, mais il y avait toujours des espaces pour donner des éclairages différents. Et les désaccords dans une rédaction se terminaient autour d’un café.

Aujourd’hui le journaliste qui simplement questionne les certitudes officielles (Covid, Ukraine, OTAN, climat…) se voit démoli professionnellement. Traité de complotiste, pro-Poutine ou Trump, antisémite, d’extrême-droite. Il a basculé dans le camp du mal. Des amitiés de longue date se soldent par un “je ne te parle plus”.

La fin de la tolérance intellectuelle

“La plupart des journalistes crèvent de trouille”. Mais de qui? De leurs pairs, avoue Pascal Décaillet. D’être mis au ban par leur propre rédaction s’ils dévient de la ligne: “Alors je ferme ma gueule”. Raphaël Pomey (Le Peuple) parle de “mort sociale”.

“On ne se déplace plus pour aller écouter l’autre. Pour le comprendre réellement”, ajoute Zeynep Ersan. Quant à Jonas Follonier (fondateur du mensuel Regard Libre), il rappelle que démocratie et pluralisme des idées vont de pair. Il déplore le “manque de tolérance intellectuelle”. Lequel sévit non seulement dans les médias, mais dans l’ensemble de la société.

Surtout ne pas déranger…

Mais cette trouille d’être à côté de la plaque dominante, vient-elle de l’insécurité économique? De la peur d’être licencié? Oui certes. Mais pas seulement. Le manque d’audace est aussi celui des lecteurs. Dont beaucoup n’ont pas envie d’être dérangés, relève Pilet. Le suivisme des mesures liberticides contre le Covid était par exemple de mise pour ne pas se compliquer la vie.

De même, ajoute-t-il, l’absence de contexte historique ne permettait pas de comprendre les facteurs qui ont poussé Poutine à envahir l’Ukraine, ce qui a débouché chez nous sur une “croisade simpliste”.

Une guerre mondiale de l’information

L’explosion de la com des pouvoirs économiques et politiques a également embrouillé l’information, estime Myret Zaki. L’information qui est maintenant l’objet d’une guerre visant à contrôler les esprits, ajoute Daniel Wermus. Les services secrets, les militaires, les multinationales infiltrent tous les médias, agences, écoles et ONG de journalisme, ainsi que les discours officiels.

Face à ces évolutions que beaucoup jugent inquiétantes, une telle réaction des pros de l’information tombe à pic. Reste à voir si d’autres journalistes influents ou pas seront prêts à se mobiliser. Proposé par Isabelle Falconnier, un site pourrait prochainement accueillir diverses réactions et propositions.

(1) Parmi les auteurs, on trouve Jacques Pilet (fondateur de plusieurs grands journaux et chroniqueur respecté), Romaine Jean (ex-présentatrice vedette de la TV romande), Christian Campiche (ancien président du syndicat des journalistes Impressum), Pascal Décaillet (animateur et producteur radio et TV – notamment Léman Bleu -, chroniqueur de presse écrite à GHI), Zeynep Ersan (ex rédactrice en chef du magazine des consommateurs Bon à savoir), Enza Testa (Présidente du Cercle des Dirigeants d’Entreprise et fondatrice du magazine L’Extension), Guy Mettan (ex rédacteur en chef de la Tribune de Genève et directeur du Club suisse de la presse), Patrick Nussbaum (ancien directeur de l’information à la RTS), Daniel Wermus (fondateur de l’Agence InfoSud et de Media21), Martin Bernard (Antithèse), Amèle Debey (l’Impertinent), Slobodan Despot (Antipresse), les journalistes d’investigation Catherine Riva et Serena Tinari, entre autres.