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Suisse: journalistes licenciés par l’intelligence artificielle?

selective focus photography of person holding newspaper
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Quelques heures après avoir clamé que tout allait bien dans la presse écrite, le plus grand éditeur suisse licencie 28 personnes, soit 10% de ses journalistes  francophones. Et 28 collègues alémaniques rejoindront la charrette. La patron de TX Group (ex-Tamedia) annonçait aussi de gros investissements dans l’intelligence artificielle, appelée à créer de plus en plus de “contenus” à la place de l’être humain. Nous publions ici le commentaire d’un grand observateur de la scène médiatique suisse, le journaliste et écrivain Christian Campiche, fondateur du site infoméduse.

Presse papier, respect pour la danseuse!

Christian Campiche, journaliste, infoméduse

L’éditeur du plus grand groupe de presse helvétique n’est-il qu’une girouette? “La Liberté” du lundi 18 septembre 2023 rapporte des propos tenus par Pietro Supino lors d’une manifestation à Lugano. Le président de TX Group, l’ancien Tamedia, s’affirme « confiant » en l’avenir de la presse papier. « Elle subsistera ! ». Des paroles en l’air?Il n’aura pas fallu plus de quelques heures pour que la réalité ridiculise ces propos lénifiants en leur apportant un cinglant démenti. Mardi 19 septembre, la nouvelle tombe comme un lourd météorite noir sur les journalistes du groupe en Suisse romande: 28 d’entre eux, 10% (!) de l’effectif, seront licenciés. Mardi, c’est au tour de leurs collègues alémaniques d’apprendre que la direction à Zurich envisage de sacrifier 20 postes aux mesures d’économie entreprises dans le secteur des médias.

La mort de la presse papier annoncée depuis plus de dix ans

En un jour et demi, le ton a donc changé diamétralement. La presse papier serait donc bel et bien condamnée. D’ici une dizaine d’années, on n’en parlera plus, claironnent les porte-parole de TX Group transformés en funestes corbeaux.

Tant de contradiction choque, mais en soi l’évolution n’est pas une surprise. La mort de la presse papier est évoquée dans les milieux spécialisés depuis le début de la décennie 2010. « Un monde s’écroule, celui de la presse écrite, tuée par ses comptables»: dans l’essai « info popcorn, enquête au cœur des médias suisses » écrit avec Richard Aschinger, publié en 2010, l’auteur de ces lignes anticipe l’issue fatale. Le livre montre comment le “Tages-Anzeiger”, Tagi pour les intimes, navire amiral de TX Group, a dérivé dès les années 1980 en direction d’une politique commerciale agressive, au détriment de la qualité de l’information. La tendance à la concentration des journaux, loin d’assainir la branche, a accentué au contraire la crise. Le lectorat abandonne des titres dont le contenu uniformisé ne répond plus à ses attentes.

Affaiblir l’info locale et le débat citoyen

M. Supino révèle que son groupe investit beaucoup dans l’intelligence artificielle. On aimerait bien savoir ce que celle-ci offrira comme « immenses opportunités », pour reprendre ses propres mots. On doute surtout de l’attrait supplémentaire qu’un contenu robotisé pourrait offrir au lecteur. Ce faisant l’éditeur alémanique ne fait que scier davantage la branche sur laquelle il est assis. Est-il seulement conscient de l’enjeu citoyen du débat sur l’avenir de la presse? En Suisse romande, les mesures de restructuration annoncées la semaine dernière menacent notamment les deux grands quotidiens régionaux, la “Tribune de Genève” et “24 Heures”. Affaiblir l’information locale revient à vider de son sens l’appartenance à une communauté.

Du fait des dividendes généreux qu’il distribue à ses actionnaires, TX Group mérite-t-il encore d’être défini comme un groupe de presse? Révélateur est le fait que de grands « concurrents » comme Ringier, la « Weltwoche » ou la « Neue Zürcher Zeitung », un quotidien que Tamedia, l’ancêtre de TX Group, convoita un temps, ne sont pas cotés en bourse. Cette dépendance de l’investisseur soucieux de rentabilité est malsaine car la vocation d’un journal n’est pas de maximiser les gains. Rien ne l’empêche par contre de jouer le rôle de danseuse. Mais dans ce cas son propriétaire doit le traiter avec le respect qui lui est dû.